Consigner les lettres de son père est un travail d’amour et un cadeau pour ses enfants

Lettres d’amour en temps de guerre

Shining a light on my parents’ hopes and dreams
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Par Barbara Rogelstad (District 40 Brant) raconté à Martin Zibauer

Je possède environ 400 lettres que mon père, Patrick Parrott, a écrites à ma mère pendant la guerre. Il était sous-lieutenant dans l’Aviation royale du Canada, au sein du 437e Escadron de transport.

Il écrivait à ma mère Winnifred plusieurs fois par semaine. Elle a gardé ces lettres, et après son décès, mon père les a conservées à son tour. L’un de mes projets de retraite est de les transmettre à mes enfants et petits-enfants, non pas dans une boîte à chaussures dans laquelle ils devront faire le tri, mais sous forme de document électronique qu’ils pourront consulter et partager.

Les mères sont souvent les dépositaires des détails de l’histoire familiale, mais puisque la mienne est décédée à seulement 48 ans, une grande partie du passé de mes parents est floue. Je n’ai qu’une version de l’histoire, car les boîtes ne contiennent que les lettres de mon père.

Un jour, j’ai demandé à mon père : « Où est ta boîte à chaussures avec les lettres que maman t’avait écrites? » Il m’avait répondu que les aviateurs de l’ARC n’avaient droit qu’à une petite boîte pour ranger leurs uniformes, leurs insignes, leurs médailles et tout ce qu’ils voulaient rapporter chez eux après la guerre. Il n’avait malheureusement pas de place pour toutes les lettres reçues, et il a donc dû laisser celles de maman en Angleterre.

J’ai les boîtes depuis des années et j’ai passé beaucoup de temps à les regarder, en me demandant quoi faire avec. J’ai commencé par les classer en ordre chronologique et à les mettre dans des pochettes de plastique, puis dans des classeurs. Mais je ne pouvais quand même pas remettre à mes enfants deux énormes classeurs encombrants en leur disant de les faire circuler dans la famille.

Le père de Barbara Rogelstad, Patrick Parrott, et son avion Tiger Moth.

Il y a quelques années, j’ai commencé à retranscrire les lettres sous la forme d’un livre électronique. Je les ai copiées exactement comme mon père les avait écrites, incluant les fautes d’orthographe et de grammaire. S’il épelait une abréviation ou soulignait des mots, je le faisais aussi.

Maintenant, je scanne mes vieilles photos et j’ajoute des signets pour chaque nom mentionné. En cliquant sur un nom, on accède à d’autres pages où il apparaît. Je suis membre d’un groupe de généalogie du comté de Lambton et les lettres de mon père font référence aux parents de certains membres. Je peux facilement trouver des témoignages, des informations et les transmettre. La transcription des lettres de papa, vieilles de 75 ans, m’a mise en relation aujourd’hui avec des personnes qui partagent un lien avec l’histoire de ma famille.

Les premières lettres commencent lorsque mon père s’est engagé et qu’il a entrepris son entraînement, d’abord à Toronto, puis à Montréal. Ma mère travaillait à l’époque au département de la guerre pour l’usine Mueller à Sarnia. Pendant la guerre, la compagnie a abandonné la fabrication de matériel de plomberie en faveur de munitions. Mon père s’inquiétait pour ma mère.

À un moment donné, mes parents avaient prévu prendre tous les deux le train pour Toronto afin de se retrouver à l’hôtel King Edward – papa craignait d’être envoyé outre-mer avant qu’ils puissent se marier. Ma mère a raconté à ses parents qu’elle avait rendez-vous avec une amie. C’est étrange de lire que nos propres parents faisaient ce qui était considéré comme déplacé à l’époque, mais ils étaient jeunes et les lettres montrent clairement qu’ils étaient follement amoureux.

Patrick et Winnifred Parrott, les parents de Barbara Rogelstad, le jour de leur mariage.

Après le mariage, mon père est revenu à la maison pendant quelques semaines, puis est retourné terminer sa formation de pilote à l’Université McGill de Montréal. À ce point, les lettres commencent à montrer un sens réel de l’engagement et de la maturité. Il s’excusait de ne pas écrire souvent et étudiait fort en prévision des examens qu’il devait passer pour devenir pilote. C’est à ce moment que mon père a semblé s’engager profondément à servir son pays.

Beaucoup de pilotes, y compris mon père, aspiraient à devenir pilotes de bombardiers. Ces hommes étaient très compétents, pilotaient des avions de nuit, par tous les temps et dans le chaos des combats. Mais il est resté dans les services de transport pendant toute la guerre, ramenant les blessés et les prisonniers de guerre, tirant des planeurs, et transportant même des parachutistes. Le largage de parachutistes nécessitait de voler très bas et s’avérait plus dangereux que les autres missions.

Les pilotes regardaient de près les soldats blessés au cas où ils en reconnaîtraient. Ma mère lui a demandé plusieurs fois de chercher quelqu’un en particulier. L’un d’entre eux était Matt Ness; il était porté disparu et sa famille ignorait où il se trouvait. Qui sait, peut-être que Matt avait été gravement blessé, ne savait plus qui il était et que mon père pourrait le reconnaître. Après la libération des Pays-Bas et de la France, mon père a passé du temps dans les hôpitaux pour rendre visite aux soldats blessés, et c’est ainsi qu’il a renoué avec de vieux amis.

En suivant la guerre qui se déroule en Ukraine, je peux tracer des parallèles avec les lettres de mon père. Même si les soldats canadiens ne prennent pas part directement à la guerre en Ukraine, ils y sont préparés. C’est ce que mon père faisait au début : des vols de nuit, dans le brouillard, en hiver, juste pour s’assurer qu’il pouvait se rendre sur le continent et en revenir quoi qu’il arrive.

Après qu’il a été stationné en Angleterre, ses lettres sont devenues plus sérieuses, mais aussi beaucoup moins détaillées. En 1944 et 1945, il ne pouvait pas révéler où il était. S’il arrivait que des passages de ses lettres soient trop révélateurs, les censeurs militaires éliminaient les détails : ils découpaient directement le papier avec des ciseaux et y apposaient un tampon disant « Censuré ».

Les lettres exprimaient son espoir que, un jour, lui et maman puissent emménager dans leur propre maison – elle vivait chez ses parents pendant son absence. Elle aimait danser, jouait du piano à l’oreille, sortait avec ses amies et les accompagnait aux soirées dansantes le week-end – ce sont des détails que j’ai appris dans les lettres. Ainsi que quelques autres informations glanées ici et là, comme le fait qu’elle aimait vraiment repeindre les murs.

Mon père lui demandait souvent de lui envoyer de l’encre, des crayons et du papier qu’il avait du mal à se procurer pendant la guerre. Il voulait aussi savoir si maman écoutait les mêmes chansons que lui à la radio, lesquelles avaient du succès, et ce qu’elle pensait des paroles des chansons. Il a écrit à propos de la chanson « We’ll Meet Again » de Vera Lynn – et d’autres chansons qui, semble-t-il, suscitaient de forts sentiments chez mon père et lui faisaient penser à sa femme et à son foyer. Je crois que la musique lui permettait de transmettre l’amour qu’ils ressentaient mutuellement et pour rester en contact.

Mon père se souvenait des samedis soir passés à danser à Kenwick Park, sur la rive du lac Huron, près de Sarnia. Pendant ma propre adolescence, j’y suis allée à mon tour pour danser au son de groupes de musiciens. Nous dansions sur ce qui n’était qu’une dalle de ciment avec une scène. Mais c’était à l’extérieur, au bord du lac, et éclairé à la bougie – c’était magnifique. Et ces danses avaient lieu au même endroit où mes parents s’étaient fréquentés. Nous partageons tous la même expérience.

Peu après la fin de la guerre, ses copains de la marine et de l’armée ont commencé à revenir à la maison. Mais pendant des mois, les pilotes sont restés pour faire face aux répercussions de la guerre. Ma mère lui avait envoyé des coupures des journaux de Sarnia sur les célébrations locales du jour de la Victoire en Europe. Il écrivait : « J’aimerais être à la maison pour danser dans les rues, mais nous avons encore du travail à faire ici. »

Les aviateurs devaient attendre leur tour avant de prendre le bateau pour rentrer chez eux – à un certain moment, il écrivit qu’il était le numéro 95, puis 93 et ainsi de suite. Mon père avait envisagé de rester dans l’ARC. Il aurait été promu en grade et en salaire, mais à ce stade, cela faisait quatre ans qu’il était parti. Quatre ans et 400 lettres.

Consigner ses lettres est pour moi un travail d’amour et un cadeau pour mes enfants. Mon travail leur permettra d’apprendre à connaître leurs grands-parents sans trop d’efforts de leur part. Mon frère aura aussi un véritable plaisir à lire les lettres et tous les détails concernant nos parents.

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