Lorsque la journée est remplie de choses à faire, d’activités pressantes, il est facile de prendre pour acquises les petites joies qui parsèment notre quotidien – ou même de les oublier complètement.
Ce faisant, ou si nous négligeons de les reconnaître, nous passons à côté des petits plaisirs qui donnent un sens véritable à la vie. Retrouver de bons amis pour le lunch. Regarder le soleil se coucher lentement à l’horizon. Explorer un coin de la ville jamais visité auparavant. Se plonger dans un bon livre. Envoyer une carte de fête – une vraie carte – à un ami qui habite à l’autre bout de la ville.
Les petits plaisirs sont personnels. Ils varient d’une personne à l’autre, mais ils ont des éléments en commun. On peut y accéder facilement et en faire l’expérience fréquemment, il n’en coûte rien ou presque, et ces menus plaisirs sont essentiels à notre bonheur. « Je les répartis en catégories. Quels sont les cinq besoins non négociables nécessaires à mon bien-être dans une journée? », demande Diana Brecher, psychologue clinicienne à la faculté de l’Université métropolitaine de Toronto.
Ces catégories, et ce qui en découle, sont différents pour chacun. Les vôtres sont peut-être « les contacts sociaux » (téléphoner à un bon ami ou se retrouver avec un groupe), « l’exercice » (aller s’entraîner ou jouer au pickleball), « la nature » (se promener ou jardiner) et « les loisirs » (regarder un film ou prendre le temps de s’adonner à son passe-temps favori).
Peu importe ces activités, « elles répondent à des besoins spécifiques. Elles influencent notre humeur. Et c’est exactement ce dont vous avez besoin à ce moment précis », explique Mme Brecher.
Chaque étape de la vie est marquée par des objectifs majeurs, comme les études en vue d’une profession, l’obtention du poste rêvé, l’achat d’une maison ou la planification de la retraite. L’atteinte de ces objectifs peut être extrêmement satisfaisante, mais le plaisir découle souvent de simples expériences.
Dans une étude publiée dans la revue Nature Human Behaviour, des chercheurs ont examiné ce qui nous tient le plus à cœur, ce qui contribue à notre sens de ce qui importe. On a demandé aux participants de se souvenir des événements les plus marquants de la dernière semaine. Il en est ressorti non pas de grandes réalisations, mais de petits plaisirs relativement routiniers. Selon un auteur, « les personnes qui accordent de l’importance aux choses plus banales ont tendance à accorder un grand sens à leur vie ».
On peut oublier cela. « Il arrive trop souvent que nous n’ayons pas l’intention d’intégrer ces plaisirs au cours de la journée », explique Nicole Mead, professeure agrégée de marketing à l’Université York, qui a étudié les bienfaits des plaisirs simples. Selon elle, « les gens considèrent parfois les petits plaisirs comme une récompense et adoptent l’attitude suivante : “ Faisons d’abord ce qui est nécessaire et, ensuite, profitons de la vie” ».
Pourtant, les petits plaisirs « vous mettent en lien avec qui vous êtes, avec les autres et avec votre but fondamental; ils peuvent changer le cours de notre journée », indique Mme Mead.
Autrement dit, profiter des petits plaisirs de la vie n’est pas faire preuve d’indulgence.
Voici une façon de voir les choses : une alimentation équilibrée exige de consommer des repas nourrissants, suivis parfois de biscuits ou de croustilles pour se gâter. Dans une vie équilibrée, les petits plaisirs ne sont pas la collation, mais le plat principal.
Selon Anne Wilson, professeure au département de psychologie de l’Université Wilfrid Laurier, il faut non seulement prendre le temps de profiter des plaisirs simples, mais aussi les cultiver consciemment et en tirer le maximum. « Il importe de savourer ces moments », ajoute-t-elle.
La plupart des choses que nous faisons, tant pour le travail que pour le plaisir, se déroulent sans trop y penser ou au milieu de distractions. Vous voulez que les plaisirs quotidiens aient plus d’impact? « Arrêtez-vous pour profiter de l’instant présent et portez attention à ce que vous faites et au plaisir que cela vous procure », conseille Mme Wilson.
« Cela exige parfois de choisir consciemment ce qui occupe l’avant-plan ou l’arrière-plan », ajoute Mme Brecher.
Prenons l’exemple d’une réunion de famille. Il est facile de s’attarder sur les petites chicanes de famille, sur le cousin qui vous tape sur les nerfs ou sur la belle-sœur qui n’offre jamais son aide. Est-ce à quoi vous penserez lorsque quelqu’un racontera une histoire rocambolesque qui fera hurler de rire tout le monde? Si c’est le cas, vous passerez à côté des moments simples qui procurent une joie immédiate et des souvenirs impérissables.
« Dans la mesure du possible, nous devons tirer le maximum de chaque instant, signale Mme Brecher. Il s’agit d’être dans le moment présent. »
Un autre obstacle nuisant aux petits plaisirs est l’idée fausse voulant que ce qui est « gros » nous rende plus heureux. S’offrir une voiture neuve, des vacances luxueuses ou de folles dépenses dans les magasins peut être excitant. Mais l’effet n’est que temporaire. C’est la nature de ce que l’on appelle en psychologie « l’adaptation hédonique ». C’est la tendance observée à revenir rapidement à un niveau de bonheur relativement stable en dépit d’événements positifs ou négatifs, ou de changements temporaires au niveau émotionnel.
Que devient l’engouement initial? « Il s’estompe, répond Mme Brecher. Lorsqu’il s’agit de choses matérielles, nous commençons à les tenir pour acquises, puis à en voir les défauts ou à croire qu’elles n’ont plus d’importance. »
Éventuellement, le véhicule neuf finit par devenir une vieille voiture cabossée. Mais savez-vous ce qui vous procure de la joie? La chanson qui passe à la radio et dont vous fredonnez les paroles en baissant les vitres de la voiture.
« Nous devons délaisser les plaisirs matériels, observe Mme Wilson. Les grands événements de notre vie sont souvent très plaisants, mais peu durables. On n’accorde pas autant de valeur aux plaisirs quotidiens qui peuvent sembler beaucoup moins importants, mais ils s’accumulent avec le temps.
Leur valeur est énorme. Ipsos a interrogé plus de 20 000 adultes dans 30 pays sur ce qui les rend (ou pourrait les rendre) plus heureux. En tête de liste : une bonne santé physique et mentale. Mais les répondants ont aussi indiqué qu’avoir des amis est aussi important qu’avoir plus d’argent et que les loisirs comptent autant que l’alimentation de base et le logement.
Un autre sondage de la firme Léger a demandé aux Canadiens d’évaluer leur niveau de bonheur et les facteurs qui l’influencent. Les scores les plus élevés sont liés à un mode de vie où les gens sont « davantage dans l’instant présent », explique Dave Scholz de Léger. Dans ce sondage, 44 pour cent des personnes âgées de 18 à 54 ans ont indiqué un niveau élevé de bonheur, mais ce chiffre est passé à 61 pour cent chez les personnes de 55 ans et plus. La capacité à rechercher et à apprécier les petits plaisirs de la vie au fur et à mesure que nous vieillissons peut expliquer en partie ce résultat.
« Arrêtez-vous pour profiter de l’instant présent et portez attention à ce que vous faites et au plaisir que cela vous procure. »
—Anne Wilson
Une série d’études menées par des chercheurs du Dartmouth College et de l’Université de Pennsylvanie ont examiné les expériences dont les gens se souviennent, qu’ils planifient, imaginent et publient sur les médias sociaux. Des recherches antérieures ont démontré que les expériences apportent plus de bonheur que les possessions matérielles. Mais quelles expériences?
Ces études ont porté sur des participants âgés de 18 à 79 ans. Les chercheurs ont constaté que les jeunes sont plus heureux lorsqu’ils vivent des « expériences extraordinaires », c’est-à-dire peu communes et peu fréquentes. Mais en vieillissant, « les expériences ordinaires qui font partie de la vie quotidienne » et qui « sont émotionnellement satisfaisantes dans le moment présent » sont de plus en plus associées au bonheur.
« Les petits plaisirs jouent aussi un rôle fonctionnel », selon Mme Mead. Voilà la conclusion de l’une de ses études publiées dans le Journal of the Association for Consumer Research.
Mme Mead et ses collègues de recherche ont demandé à un groupe de participants de noter le déroulement de leurs journées pendant une semaine. Chaque matin, les participants s’engageaient à réaliser des objectifs désirés pour la journée. Cinq fois par jour, les chercheurs ont demandé aux participants s’ils éprouvaient un petit plaisir (quelque chose de bref, personnel et positif), une petite contrariété ou aucun des deux. Chaque soir, les participants ont noté leur degré de satisfaction de leur journée ainsi que les progrès accomplis par rapport aux objectifs de la journée.
Les journées au cours desquelles ils ont vécu un grand nombre de plaisirs simples, les participants ont mieux atteint leurs objectifs. Et à l’opposé, les participants ont fait moins de progrès envers leurs objectifs et connu plus de tracas les jours où ils enregistraient moins de petits plaisirs. Sous un autre angle, Mme Mead affirme que le fait d’avoir une vision étroite axée sur de gros objectifs peut nous empêcher d’éprouver des plaisirs simples.
Alors, installez-vous confortablement pour regarder votre émission préférée avec du maïs soufflé. Chantez sous la douche. Faites rire quelqu’un.
Selon Mme Mead, son étude souligne que les plaisirs simples, en plus d’être gratifiants, peuvent procurer de l’énergie, réduire les petites contrariétés de la vie et le stress quotidien, et vous aider à atteindre vos aspirations.
« Les plaisirs simples n’ont rien de simpliste », conclut-elle.