Vivre sa vie, c’est relever des défis. Ceux-ci sont souvent quelconques, comme savoir quoi préparer pour le souper lorsque le frigo est à moitié vide. D’autres sont plus délicats, comme résoudre des chicanes familiales. Certains portent sur le bien-être personnel, comme intégrer plus d’activité physique dans notre horaire. Plusieurs concernent notre bien-être collectif, comme prospérer dans une économie en mutation rapide ou rendre les communautés plus habitables. D’autres encore hantent l’humanité depuis des générations, comme mettre fin aux conflits mondiaux ou réduire les effets du changement climatique.
Ces défis sont des dilemmes d’ampleurs très différentes, mais tous requièrent la même approche pour les résoudre : faire preuve de pensée créative.
La pensée créative est la clé pour améliorer notre vie, celle des gens qui nous entourent et notre monde. Alors, comment stimuler la créativité?
Voilà l’une des questions centrales de notre époque. En éducation, la créativité fait partie des compétences à acquérir au XXIe siècle. L’an dernier, le Forum économique mondial a indiqué que 73 % des organisations interrogées considéraient la pensée créative comme étant la compétence la plus importante pour les travailleurs, devant des qualités comme la maîtrise des technologies, la flexibilité et la motivation.
Un rapport de RBC intitulé Élan de créativité : L’ingéniosité humaine, moteur du progrès des années 2020 note que la créativité est « LA » nouvelle compétence recherchée, que ce soit en studio, en laboratoire, en salle de classe ou de réunion.
Selon le Canadian Network for Imagination and Creativity (CNIC), la créativité est essentielle à l’enrichissement de notre vie. Ce réseau national – lancé en 2020 par des représentants de l’Université Simon Fraser, de l’Université d’Ottawa et de l’Atlantic Centre for Creativity – vise à promouvoir la pensée créative dans tous les domaines d’activité.
Beaucoup de gens ne reconnaissent pas leur capacité créative ou ne se sentent pas particulièrement créatifs, explique Alexis Milligan, artiste à Dartmouth (Nouvelle-Écosse) et membre du comité directeur du CNIC. L’une des raisons, selon elle, c’est que nous associons la créativité aux arts. Nous voyons quelqu’un jouer d’un instrument, peindre ou faire de l’artisanat et avons l’impression de ne pas être aussi créatifs. « Nous tentons d’étudier les obstacles perçus concernant la créativité, la façon d’y accéder et cette impression qu’elle nous dépasse », explique-t-elle.
Les chansons, les peintures et les romans sont des productions créatives, mais les produits, les processus et les théories le sont tout autant. Les artistes sont créatifs, tout comme les scientifiques, les ingénieurs, les enseignants, les professionnels de la santé, le personnel de service, et les travailleurs de la construction… tout comme nous tous dans notre vie quotidienne.
La créativité s’inscrit dans notre ADN
Une étude publiée dans la revue NeuroImage a montré que les idées créatives déclenchaient dans notre cerveau la même satisfaction que manger un plat préféré ou vivre d’autres plaisirs. Ces impressions favorisent la poursuite d’autres idées novatrices. L’évolution a préparé notre cerveau en ce sens.
« L’humain est essentiellement créatif », explique Lorena Escandón, professeure adjointe en industries créatives à l’Université métropolitaine de Toronto. Le contenu de ses cours recoupe l’innovation, la créativité, la technologie et l’esprit d’entreprise. « Nous recourons quotidiennement à la créativité, sans toujours l’appeler ainsi. La créativité est cette capacité à s’engager en détenant l’information, à repousser les limites de la connaissance et à faire tomber les paradigmes. »
Ce n’est qu’un autre mot pour la résolution de problèmes, même ceux dont nous ignorions l’existence. La créativité consiste à apprendre à partir des connaissances que nous possédons et des expériences vécues, à appliquer ces connaissances dans un nouveau contexte et à transformer l’imagination en réalité.
« Nous recourons quotidiennement à la créativité, sans toujours l’appeler ainsi. La créativité est cette capacité à s’engager en détenant l’information, à repousser les limites de la connaissance et à faire tomber les paradigmes. »
– Lorena Escandón
Il y a cinq ans, un groupe d’informaticiens, de musicologues et d’historiens de la musique se sont associés pour terminer la 10e symphonie de Ludwig van Beethoven. Le compositeur n’en avait laissé que quelques ébauches avant sa mort. L’équipe a alors enseigné à un outil d’intelligence artificielle (IA) toutes les œuvres de Beethoven ainsi que son processus créatif. Ainsi, en octobre 2021, soit 194 ans après la mort du célèbre compositeur, sa symphonie achevée fut jouée à Bonn, en Allemagne.
Les technologies de l’IA peuvent générer de la musique, des vidéos et des photos originales sur demande. Au Massachusetts Institute of Technology, des chercheurs ont utilisé l’IA pour découvrir une classe d’antibiotiques. Des débats sont aussi en cours pour savoir si l’IA peut détenir des brevets sur des inventions.
La grande question : l’IA rendra-t-elle la créativité humaine désuète?
« C’est peu probable, estime Lorena Escandón. L’IA est un nouvel outil qui nous aidera à créer plus rapidement des prototypes. Je crois que c’est une bonne nouvelle pour la créativité. »
Toute innovation peut sembler menaçante, surtout si elle ressemble à l’intelligence humaine, mais sans sa volonté ni sa morale. Pourtant, de telles craintes ne sont pas nouvelles. La mathématicienne anglaise Ada Lovelace a écrit un jour sur un projet d’ordinateur programmable conçu par Charles Babbage : « Le moteur analytique n’a pas la prétention d’être à l’origine de quoi que ce soit. Il peut faire tout ce que nous savons lui demander. Il peut suivre l’analyse, mais n’a pas le pouvoir d’anticiper la vérité. Son rôle est de nous aider à rendre accessible ce que nous connaissons déjà. »
C’était en 1843. Un moteur analytique à vapeur semble bien rudimentaire par rapport à l’IA actuelle. Les emplois changeront et beaucoup disparaîtront, comme cela s’est toujours produit avec l’arrivée de nouvelles machines. Peut-être verrons-nous la fusion de la créativité humaine et de celle de l’IA. Comme le souligne un article de la Harvard Business Review, « le plus grand potentiel de l’IA générative n’est pas de remplacer les humains, mais de les aider dans leurs efforts individuels et collectifs pour créer des solutions jusqu’ici inimaginables ».
