Photo d’une radiographie de l’avant-bras et de la main

Ramancheurs : le désir de soulager la souffrance humaine

Ces guérisseurs holistiques du Québec traitent les fractures, les foulures, les douleurs articulaires, les problèmes de lésions nerveuses et plus encore
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Les « ramancheurs » ou « rebouteux » du Québec constituent une partie fascinante de l’histoire de la Belle province, mais restent peu connus ailleurs au pays.

La pratique consistant à replacer les os déboîtés ou sortis de leur emplacement naturel fait des ramancheurs les dépositaires d’une technique ancestrale qui reflète un aspect unique de l’histoire et de la culture québécoises. Pendant des générations, ces guérisseurs traditionnels (« ramancheurs » est un terme familier tout comme « rebouteux») ont utilisé des manipulations et des herbes topiques pour traiter non seulement les fractures osseuses, mais aussi les articulations déplacées et autres affections. Leurs techniques particulières se sont transmises de génération en génération.

Mais assez curieusement, le reste du Canada semble connaître peu de choses sur ces ramancheurs.

Expert en histoire et en folklore du Québec, Serge Gauthier (docteur en ethnologie) a déposé en 1982 une thèse de maîtrise sur une famille de ramancheurs bien connue, les Boily. Il a partagé certaines de ses connaissances avec le magazine Renaissance.

La tradition remonte à Hippocrate, un médecin de la Grèce antique considéré comme le père de la médecine, qui a décrit comment bander des articulations blessées avec des attelles. Cette pratique fut ensuite utilisée par des guérisseurs en Europe, notamment en France, puis introduite au Québec.

À l’époque de la Nouvelle-France, les premiers ramancheurs étaient souvent des forgerons qui tentaient de soulager les fractures osseuses de leurs chevaux. Avec le temps, ils ont éventuellement élargi leur pratique à leurs voisins, réparant les fractures résultant d’accidents agricoles.

Le « don de ramancheur » était transmis par le biais de la lignée familiale, soit de père en fils et parfois en fille. Il impliquait un long apprentissage sur la connaissance du squelette humain et l’art de remettre les os en place. Selon M. Gauthier, leur succès résultait d’une « expérimentation éprouvée ».

Le « don de ramancheur » était transmis par le biais de la lignée familiale, soit de père en fils et parfois en fille. Il impliquait un long apprentissage sur la connaissance du squelette humain et l’art de remettre les os en place. Selon M. Gauthier, leur succès résultait d’une « expérimentation éprouvée ».

L’approche n’était pas scientifique en soi; par exemple, les ramancheurs n’utilisaient pas de plâtre, mais plutôt des attelles en bois. De plus, ils n’avaient aucun diplôme ou n’adhéraient pas à des ordres professionnels.

Leur atout principal était leur proximité avec les habitants des zones rurales qui n’avaient pas les moyens de se payer un médecin; les gens avaient confiance dans les techniques des ramancheurs qui se sont constitué un public nombreux et fidèle.

Certains ramancheurs incorporaient des prières ou autres rituels dans leurs séances, mais ce n’était pas au cœur de leur pratique. M. Gauthier estime que la plupart avaient seulement le désir de « soulager la souffrance humaine ».

Au fil des ans, les services des ramancheurs sont devenus de plus en plus recherchés. Les clients devaient souvent attendre de longues heures pour voir leur guérisseur de confiance.

Certains praticiens, notamment la famille Boily, sont devenus très connus.

Avec le temps et l’urbanisation de la province, de nombreux ramancheurs ont déménagé ou étendu leur pratique dans les villes où ils ont commencé à faire connaître leurs services dans les bottins téléphoniques locaux et ailleurs.

Même lorsque l’Université Laval de Québec a ouvert une faculté de médecine au milieu du XIXe siècle et que les médecins sont devenus plus accessibles, les Québécois ont continué à faire confiance à leurs ramancheurs.

Les dirigeants de la profession médicale ne voyaient cependant pas d’un bon œil ces guérisseurs traditionnels. Au milieu du XXe siècle, les ramancheurs furent menacés de poursuites judiciaires de plus en plus nombreuses et accusés d’avoir pratiqué la médecine sans détenir de permis.

Selon M. Gauthier, les plaintes provenaient « d’informateurs » et « jamais de leurs clients ». Il insiste sur le fait que cette pratique « n’avait rien de farfelu » et qu’elle était issue de« la médecine populaire avant la soi-disant période scientifique ».

Malgré tout, le harcèlement a entravé la pratique à un point tel qu’elle a presque disparu dans les années 1980. En apparence, du moins. Les guérisseurs se sont retranchés dans la clandestinité et leur pratique est devenue plus anonyme – sans documents écrits risquant d’éveiller les soupçons de pratique illégale. Les clients payaient ce qu’ils pouvaient – en argent liquide.

De nos jours, les clients continuent de solliciter les services d’un ramancheur. Prenez la famille de Claude Forand. Pendant des années au Québec, son père a régulièrement consulté un ramancheur pour des problèmes musculo-squelettiques. Sa sœur fait encore appel à un guérisseur pour ses maux de dos.

Il y a environ 25 ans, sa conjointe devait subir une opération pour traiter un problème de colonne vertébrale, mais un ramancheur a réglé le problème quelques semaines avant la date prévue de l’opération chirurgicale. Pour sa part, M. Forand a lui-même dépensé près de 2 000 $ auprès de professionnels de la santé « officiels » pour traiter sa névralgie sciatique, mais sans succès. Un ramancheur a également réglé son problème en quelques minutes.

Contrairement à de nombreux autres guérisseurs qui ne travaillent que sur les os, les muscles, les tendons et les ligaments, ce ramancheur particulier a également appris à identifier les nerfs du corps humain. Sa technique consistait à appliquer une pression semblable à un massage le long du cou et du haut du dos de son patient, sans causer de douleur. M. Forand décrit cette technique comme étant plus douce que celle utilisée par un chiropraticien.

Son cas n’est pas unique. De nombreux Canadiens français ne jurent que par ces guérisseurs traditionnels, et conduisent souvent de longues heures pour se faire soigner. De plus, certains médecins recommandent régulièrement leurs patients aux bons soins de ces ramancheurs.

Aujourd’hui, les descendants des ramancheurs sont des physiothérapeutes et des massothérapeutes, « ce qui leur donne les lettres de noblesse qui manquaient aux anciens praticiens », fait remarquer M. Gauthier.

Quant aux chiropraticiens, ils se sont eux aussi inspirés des techniques des ramancheurs pour traiter les affections de la colonne vertébrale, des muscles et du système nerveux.

Étant donné l’intérêt croissant pour la santé holistique et les soins de santé complémentaires, beaucoup estiment que les guérisseurs traditionnels peuvent jouer un rôle central dans les soins de santé et devraient coexister avec la médecine orthopédique moderne – chacun apprenant de l’autre.

Comme l’indique M. Forand, les ramancheurs sont « un instrument de plus dans la panoplie de soins offerts ».

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