Vieux : qui a vécu longtemps; qui est dans la vieillesse ou qui paraît l’être. — Le Petit Robert
«Vous êtes tellement actif pour votre âge. » « Vous paraissez tellement bien pour votre âge. » « C’est extraordinaire à votre âge. » Ou tout ce qui se termine en mentionnant « à/pour votre âge ».
Petite voix intérieure : comment peut-on possiblement avoir fière allure, être en forme ou être dynamique lorsque l’on est… vous savez… vieux.
Les compliments équivoques traduisent notamment la persistance, dans la culture nord-américaine, de l’idée que le vieillissement s’accompagne de limitations et que vieillir, c’est perdre une chose plutôt que d’en gagner une autre.
On peut facilement le constater avec les cartes d’anniversaire « amusantes », pas si drôles en réalité, qui traitent de la vieillesse avec des répliques sur la mémoire qui flanche et les parties du corps qui s’affaissent ou qui cessent de fonctionner. C’est également évident avec l’industrie massive des produits de soins de la peau « anti-âge » créés par des marques qui, il y a près d’un siècle, ont commencé à envoyer des messages sur les « signes redoutés du vieillissement du visage » et sur les « complexions ternes et sans éclat ». Mentionnons aussi la désormais célèbre phrase « OK Boomer », une façon de rouler des yeux pour rejeter les personnes d’une certaine génération en les jugeant dépassées.
Le message est sans équivoque : vieillir et être vieux, avec tous les stéréotypes qui accompagnent ces mots, c’est mauvais. Purement et simplement.
La vérité, c’est que les gens ne sont pas un litre de lait ni un pain tranché. Nous n’avons pas de date de péremption. Et peu importe l’âge, il n’y a pratiquement rien que nous ne puissions être ou faire, si nous le souhaitons.
Mais qu’est-ce que le terme « vieux » signifie à notre époque? Et pourquoi devrait-il signifier quoi que ce soit? « Quand les gens demandent de définir “vieux”, il n’existe pas d’âge précis », indique Laura Tamblyn Watts, directrice générale de CanAge, un organisme de défense des adultes âgés. « Cela me rend furieuse de constater qu’à partir d’un certain chiffre, par exemple à l’âge de 65 ans, tout le monde devient “vieux” ou “plus vieux”. Nous avons des idées socialement préconçues sur la façon dont les choses devraient être. »
Sur le plan historique, la vieillesse était liée aux capacités et aux rôles sociaux. Les personnes étaient considérées comme âgées en raison de leur déclin physique ou de la fin de leur vie professionnelle. Mais les progrès de la médecine ont fait en sorte que l’espérance de vie a augmenté et l’état de santé s’est amélioré. La retraite ne ressemble plus à ce qu’elle était dans les décennies passées, et ce n’est donc plus un indicateur clair.
« Les stéréotypes évoluent », affirme Nancy Worth, spécialiste en géographie économique à l’Université de Waterloo.
Pendant la majeure partie de leur vie, les baby-boomers ont été à l’origine d’importants changements sociaux en Amérique du Nord. À l’heure actuelle, ils remettent en question les perceptions culturelles sur la vieillesse et sa signification. Prenons l’exemple de Robin Todd. Cette enseignante d’anglais et de création littéraire à la retraite, membre du District 31 de Wellington, adorait rouler à vélo durant sa jeunesse à Guelph. « J’aimais avoir la liberté de pouvoir aller n’importe où, de me promener », raconte Mme Todd.
Aujourd’hui, elle continue de le faire. En 2021, Mme Todd a enfourché son vélo de gravelle Santa Cruz Stigmata pour se rendre de Vancouver au Cap-Breton, parcourant ainsi 6 777 kilomètres en 41 jours. En 2023, elle a pédalé 5 000 kilomètres dans le nord des États-Unis, de Washington au Michigan.
« Je veux continuer le plus longtemps possible », déclare Mme Todd. Elle se remémore une phrase préférée de George Bernard Shaw : « On n’arrête pas de jouer parce qu’on vieillit. On vieillit parce qu’on arrête de jouer. »
« Il faut être enjoué, joyeux et optimiste, ajoute Mme Todd. Je veux continuer à être cette petite fille âgée de 12 ans. »
Pour elle, le vieillissement est un état d’esprit, et la science lui donne raison. Nous avons plusieurs âges en même temps. Il y a l’âge qui calcule le temps que nous avons vécu. Nous avons aussi des âges biologique, physiologique et fonctionnel, qui réfèrent à notre état de santé et à celui de nos cellules et tissus. Nous avons de plus un âge social, qui correspond à la façon dont nous répondons aux normes et aux attentes associées à une certaine maturité.
Et peut-être l’âge le plus important de tous : notre âge subjectif. L’âge chronologique correspond à ce que nous sommes; notre âge subjectif reflète comment nous nous sentons. Dans une étude avec près de 1 500 adultes publiée dans le Psychonomic Bulletin & Review, les personnes âgées de plus de 40 ans se perçoivent en moyenne comme étant 20 pour cent plus jeunes que ce qu’elles le sont réellement. « Il y a une contradiction entre la perception personnelle et le chiffre qui figure sur votre certificat de naissance. Tout semble indiquer que, dans nos têtes, nous vieillissons plus lentement », remarque Marfy Abousifein, présidente du club étudiant de l’Association canadienne de gérontologie à l’Université McMaster et étudiante en sciences de la santé.
Se sentir plus jeune a des avantages. Un article paru dans Psychological Science indique que l’âge subjectif est un marqueur biopsychosocial du vieillissement. Le fait d’avoir un âge subjectif moins élevé permet de prédire d’autres résultats importants, comme une meilleure santé physique et cognitive, un plus grand bien-être, une résistance accrue au stress et des risques de mortalité plus faibles. Le fait de se sentir plus vieux qu’en réalité prédit le contraire.
En vieillissant, les gens se concentrent souvent sur la réduction du poids, de la tension artérielle et du cholestérol. Ce sont évidemment tous des facteurs importants pour la santé, mais réduire votre âge subjectif l’est tout autant. Il ne s’agit pas de nier son âge réel, mais plutôt de se sentir jeune d’esprit. Il n’existe pas de pilule magique pour cela, mais la recherche indique des moyens d’y parvenir : avoir un but, entretenir de vastes réseaux de contacts sociaux, rester en contact avec sa communauté, se lancer des défis et rester curieux.
Alors, qu’est-ce qui est « vieux »? Dans un sens, c’est typiquement plus vieux que vous ne l’êtes aujourd’hui.
En 2024, la revue Psychology and Aging a publié les résultats d’une étude longitudinale. Sur une période de 25 ans, alors qu’ils étaient âgés de 40 à 100 ans, on a posé aux participants la question suivante : « À quel âge décririez-vous quelqu’un comme vieux? » À mesure que les participants vieillissaient, la réponse était toujours « plus vieux ». Par exemple, un participant de 65 ans pouvait répondre « 74 ans », tandis qu’une personne de 74 ans aurait dit « 78 ans ». Dans l’ensemble, la perception de la vieillesse augmentait d’un an pour chaque période de quatre à cinq ans de vieillissement réel.
Dans d’autres sondages, 65, 75 et 85 ans ont tous été cités comme des indicateurs de la vieillesse. Mais c’est aussi le cas d’autres signes qui ne dépendent pas du nombre d’années. Pour certains, ce sont les cheveux gris. Pour d’autres, l’incapacité à conduire. Certains diront que c’est de ne plus pouvoir vivre de manière indépendante. Pour d’autres encore, il s’agit d’étapes importantes, comme la naissance de petits-enfants ou le départ à la retraite. Est-ce à dire qu’une grand-mère de 46 ans ou un retraité de 53 ans seraient considérés comme « vieux »?
Derrière « faire son âge » – ou essayer de « ne pas le faire » – existe toute une industrie florissante. À l’échelle mondiale, on évalue à environ 63 milliards de dollars US le marché de l’anti-âge, allant des produits de soin de la peau et de coloration des cheveux aux suppléments et à la chirurgie esthétique. Ce marché devrait atteindre près de 107 milliards de dollars d’ici la fin de la présente décennie.
Évidemment, il s’agit en partie de renforcer la confiance en soi, le lien entre avoir une belle apparence et se sentir bien. Malgré tout, « on nous enseigne qu’on ne peut pas être heureux si on a quelques rides », commente Mme Abousifein.
La perception du vieillissement évolue peut-être, mais cela n’empêche toujours pas les messages voulant qu’il vaille mieux être jeune que vieux. Il peut être tentant d’échapper à son âge. Mais reconnaissez aussi que ce n’est pas la seule chose qui vous définit. On peut être jeune de cœur, ou vieux avant l’heure, peu importe l’âge.
En 1965, les Rolling Stones ont sorti « (I Can’t Get No) Satisfaction ». À l’époque, Mick Jagger et Keith Richards avaient 21 ans. Quelques mois plus tard, The Who lançaient « My Generation », avec une phrase célèbre de Pete Townshend, auteur-compositeur de 20 ans : « J’espère mourir avant de devenir vieux. »
En juin 1975, à l’aube de ses 32 ans, Jagger déclarait à un magazine : « J’aimerais mieux être mort que de chanter “Satisfaction” à 45 ans. » Avance rapide en 2024, alors que Jagger chantait encore cette chanson en tournée à l’âge de 81 ans. La même année, The Who, avec Townshend âgé de 79 ans, et Roger Daltrey âgé de 80 ans, étaient aussi sur scène pour interpréter « My Generation ».
Mme Todd se demande si la formule « J’espère mourir avant de devenir vieux » ne reflète pas plutôt un état d’esprit qu’un âge chronologique. Selon elle, on n’est pas vieux lorsqu’on atteint un certain âge, mais plutôt lorsque l’on craint d’essayer de nouvelles choses. « Je ne veux pas en arriver là », dit-elle.
Le vieil adage voulant que « l’âge n’est qu’un chiffre » fait généralement référence à l’idée que les gens n’ont pas de limites. C’est vrai. Mais l’âge n’est vraiment qu’un chiffre, une donnée, comme la taille ou le poids. L’âge ne dit rien des valeurs ou des espoirs d’une personne, ni de ce qu’elle aime ou n’aime pas. Ce sont des mesures quantitatives, que nous appliquons en disant de quelqu’un qu’il est « grand » ou « petit », ou « gros ».