Photo de Nellie avec Clarence
Nellie and her brother Jimmy in France, 1916 or 1917.

En souvenir de ma mère

Parfois, les meilleures leçons ne s’apprennent pas à l’école
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Terry Chattington (District 8 London, Middlesex) Ma mère, Nellie, n’a pas fréquenté l’école longtemps. Mais je pense que les leçons de vie qu’elle nous a enseignées, à mes frères et sœurs et à moi-même, nous ont façonnés autant, sinon plus, que nos études.

Maman est née en 1914, au nord de Paris, et certains de ses premiers souvenirs remontent à la Première Guerre mondiale. « Je me souviens des nombreuses nuits que nous devions passer dans notre cave en terre battue », écrivait-elle bien des années plus tard dans une lettre, « avec de la nourriture, des bougies, une pioche et une pelle, car nous ne savions jamais si nous serions enterrés vivants le lendemain. »

En 1922, cette famille de quatre personnes – ma mère et son frère, son père, qui était anglais, et sa mère – s’est embarquée pour New York, avant de prendre le train pour Montréal. Six mois plus tard, la famille a pris un autre train pour l’ouest du pays. Ma grand-mère s’ennuyait de sa sœur qui vivait à Meadow Lake, en Saskatchewan, mais je pense que si ma grand-tante leur avait dit la vérité sur la vie qui les attendait, la famille n’aurait jamais choisi de venir. Le trajet pour se rendre de North Battleford à Meadow Lake leur a pris une semaine, en carriole tirée par un cheval, par 40 degrés sous zéro.

Mon grand-père a éventuellement obtenu un lopin de terre et y a construit une cabane en bois rond, en remplissant de boue les fissures et en posant de la tourbe sur le toit. À ce qu’il paraît, ma grand-mère a pleuré de façon inconsolable parce qu’elle voulait vraiment retourner en France, mais ils avaient dépensé jusqu’à leur dernier sou pour venir en Saskatchewan.

Les enfants savent s’adapter au milieu dans lequel ils grandissent. Mais je ne connais pas beaucoup de gens qui pourraient faire ce que ma mère a fait pour survivre, surtout si jeune. Elle avait installé une ligne de piégeage, qu’elle vérifiait en traîneau à chiens, et dépeçait les proies prises au piège. N’ayant pas de chaussettes, elle enroulait des guenilles autour de ses pieds. Elle écrivit avoir cueilli ce qu’elle appelait le « Sinacaroot » (Seneca root; en français, Polygala de Virginie, Sénéca ou encore Herbe au lait [note du traducteur]), une plante utilisée pour fabriquer de l’iode – et l’avoir vendue pour quatre cents la livre. Plus tard, elle a aidé son frère à scier du bois et à construire une grange.

Ma mère avait quitté l’école en troisième année. À son arrivée en Saskatchewan à l’âge de huit ans, elle ne parlait que le français. À sa première journée d’école, tout le monde parlait anglais et elle ne comprenait personne. Elle m’a raconté être repartie chez elle à cheval.

Maman était têtue. D’une certaine façon, elle avait confiance en ses capacités à coudre, à fabriquer des vêtements pour sa famille croissante et à cuisiner. Elle pouvait préparer un repas avec presque tout, bien que je me souvienne que nous mangions souvent du pouding de pain perdu. Elle est ensuite devenue aide-soignante, ce qui s’est avéré un travail difficile et toute une réussite.

À sa première journée d’école, tout le monde parlait anglais et elle ne comprenait personne. Elle m’a raconté être repartie chez elle à cheval.

      – Terry Chattington

À gauche : Terry Chattington; À droite : Nellie Chattington

Cependant, son manque de formation scolaire l’a toujours contrariée. Je me souviens une fois lui avoir montré comment consulter l’annuaire téléphonique. Elle a noté la façon de trouver des numéros. Elle aurait pu réussir à l’école, mais le fait d’avoir été privée de l’éducation considérée aujourd’hui comme la norme a nui à sa confiance et à son image personnelle.

Maman n’était pas une personne religieuse, mais elle croyait en Dieu et s’assurait que  ses enfants allaient à la classe de religion du dimanche. Elle avait le sens des valeurs et il était impossible de discuter avec elle, car elle savait départager le bien du mal. Elle s’est assurée que nous savions bien nous comporter. Dans le cas contraire, elle nous le faisait savoir; un jour, elle m’a pourchassé avec un balai dans la maison et m’en a donné de petits coups pendant que j’étais caché sous le lit.

L’autonomie et la confiance en soi de ma mère ont toujours été en contradiction avec son sentiment d’incapacité en ce qui concerne la lecture, les mathématiques et l’apprentissage par les livres. Elle était naturellement douée pour l’écriture, et si les circonstances avaient été différentes, elle aurait probablement pu rédiger des histoires intéressantes. Elle parlait avec simplicité et sincérité, et était franche et gentille. 

Pendant 26 ans, j’ai enseigné différentes matières dans lesquelles je n’étais pas vraiment spécialisé. Une partie de cette capacité d’adaptation vient du fait que j’ai vu ma mère relever tellement de défis.

Les écoles sont l’endroit pour enseigner toutes sortes d’habiletés, mais certaines des leçons de vie les plus importantes ne s’apprennent pas sur les bancs d’école : le courage, l’ingéniosité, la persévérance et la capacité à s’adapter aux circonstances qui se présentent à vous.

Ma mère nous a appris tout cela et plus encore, et je lui en suis éternellement reconnaissant.

Photo of Nellie and Clarence Chattington
Photo of Nellie and Clarence Chattington

Comment j’ai fait la connaissance de ton père

par Nellie Chattington, dans ses propres mots

Ton père et moi habitions dans deux fermes différentes. Il voulait devenir boxeur, alors il restait avec mon père pour apprendre. Quoi qu’il en soit, mon père ne l’a jamais informé qu’il avait une fille de 19 ans. Mais un jour, ton père a amené ses deux chevaux pour les abreuver à notre puits, car le sien était à sec. J’ai donc vu ce type s’approcher de notre puits, et j’étais déjà là à puiser de l’eau pour notre bétail. J’avais un seau suspendu au bout d’une corde que je faisais passer par un petit trou pour faire descendre le seau d’environ 6 mètres. Ton père était donc là avec ces deux chevaux, et je me souviens avoir été tellement gênée, car je portais un vieux manteau et des bottes en caoutchouc, j’étais sans maquillage et avec mes cheveux en petites boucles partout. Il a dit qu’il s’est pris d’affection pour moi ce jour-là, et après son départ, je me suis dit « Ce serait drôle qu’il devienne mon mari ». Et ce fut notre première rencontre. Mais pour sortir avec ton père, j’ai dû rompre avec mon amoureux de l’époque. C’est toujours difficile à faire, car on déteste faire de la peine aux gens. C’est alors que nous avons commencé à sortir ensemble, car il était chez nous presque tous les jours. Nous sommes sortis ensemble pendant trois mois. Ma mère me poussait à me marier, car elle craignait que quelque chose arrive, et aussi parce que j’étais en train de perdre ma réputation, et elle s’inquiétait toujours tellement de la réaction des gens.

Et c’est ainsi que nous nous sommes mariés. ”

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